Histoires de cannes en bambou

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Les rivières du Québec sont reconnues mondialement pour leur qualité de pêche et la beauté des paysages. C’est bien connu. Traditionnellement, l’activité de la pêche sportive est relativement récente car on pêchait d’abord par subsistance. Cependant, après la conquête britannique de l’automne 1759, les habitudes ont changées peu à peu. Avec l’arrivée des militaires conquérants, les paysans francophones du Bas-Canada trouvaient bien curieux les gentlemen aux costumes étranges avec leur grandes perches emprunter les rivières pour capturer, par plaisir, les truites et saumons qui abondaient çà et là. Un de ceux-là, l’officer Frederic Tolfrey, écrit en 1845 dans son livre intitulé « Tolfrey – Un aristocrate au Bas-Canada » comment on pêchait le saumon en 1816-1817 sur la rivière Jacques-Cartier. Mais ce qui a attiré le plus mon attention dans son récit, c’est toute la description qu’il fait dans les moindres détails sur les mouches, gréements et cannes à moucher. Cannes d’ailleurs qu’il achetait de fabricants chevronnés à Londres en Angleterre. Il explique comment choisir une canne à moucher et avec quels matériaux les cannes étaient fabriquées au début du 19e siècle. Il est intéressant de constater qu’à cette époque, les facteurs de cannes à moucher expérimentent différentes essences de bois et font des essais avec le bambou refendu. Tolfrey, sans le savoir, nous témoigne alors des premiers balbutiements de la canne à moucher en bambou.

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Voilà mon observation pour le côté historique. Il faut présumer qu’à partir de ce moment-là, la canne à moucher en bambou a évoluée et qu’elle est devenue avec les années, le nec plus ultra de la canne à pêche à la mouche. On utilisait cette canne abondamment encore jusqu’aux années 1960 où sont apparues alors les cannes en fibre de verre et ensuite un peu plus tard, les cannes en graphite. Mais la canne à moucher en bambou refendu n’a jamais été égalée en beauté et en performance. C’est bien connu. Pêchez une fois avec une canne en bambou refendu et vous serez convaincus. La puissance qu’on ressent au bout de son bras et la précision des touches démontrent que le bambou possèdent de grandes qualités physiques et techniques. Bien sûr, les cannes à moucher d’aujourd’hui sont performantes et fiables mais le plaisir qu’on ressent à pêcher avec une œuvre d’art entre les mains n’a aucun égal. Il y a un petit quelque chose de naturel dans le fait de pêcher avec du bambou. Et vous verrez, cette canne avec les années deviendra un compagnon inestimable de vos aventures de pêche sur nos belles rivières.

J’ai découvert la pêche à la mouche sur le tard. Je pêche au léger depuis ma tendre enfance, mais pour moi pêcher à la mouche était un sport réservé aux biens nantis de notre société. Faut se rappeler que nos rivières ont été « déclubées » seulement en 1976 avec le gouvernement du parti Québécois. Mais j’avais tout de même ça en tête depuis plusieurs années et je me promettais bien qu’un jour je ferais le saut. C’est arrivé au printemps 2014. J’ai suivi un cours de lancer à la mouche dans un gymnase avec le Casting Club de Québec et j’ai été ferré bien comme il faut. Après cette formation j’ai pêché sur quelques rivières à saumon et à truites du Québec; la Nicolet, la Matane, la York, la Dartmouth, la Ste-Marguerite et la rivière du Gouffre. Mais au moment où je vous écris ces quelques lignes, je n’ai toujours pas attrapé de saumon. C’est une quête qui me passionne et j’anticipe déjà le jour où ça arrivera. Ce sera fête au village, je vous le garantis ! Je pêche avec une canne en graphite, une Ste-Croix en 4 sections, de 9 pieds soie #8, que j’ai achetée chez Latulippe à Québec de mon ami François Juliano. J’aime cette canne à moucher. Elle est légère, son action médium me sied parfaitement et pour le prix j’en suis bien satisfait.

Ma rencontre avec le bambou s’est faite en 2014 quand je suis allé à la boutique de Richard Rioux, le Coin du moucheur à Charlesbourg. J’y allais pour m’acheter des waders et c’est là que j’ai vu pour la première fois sur des présentoirs, de vieilles cannes à moucher en bambou refendu. Wow ! Ce fut le coup de foudre ! Je ne savais même pas que ça existait. Pour saisir mon enthousiasme, il faut que je vous dise que lorsque j’étais dans la très jeune vingtaine, j’étudiais en musique à l’École de musique de l’Université Laval et je m’intéressais à la lutherie, c’est-à-dire la fabrication des instruments à cordes; violons, guitares, etc. J’ai suivi plusieurs formations pour apprendre ce métier. Travail que j’ai pratiqué environ sept ans au Québec. J’ai d’ailleurs vécu en Grande-Bretagne à Londres en 1983 et 1984 pour parachever ma formation de luthier, avec une spécialité pour les instruments à cordes de l’époque baroque; luths, violes de gambe, vielles-à-roue, etc. J’ai bossé dans des ateliers près du Barbican Centre et dans Greenwich Village avec deux grands maîtres luthiers, messieurs Stephen Barber et Stephen Gottlieb. Ces artisans m’ont appris la minutie et le travail de précision.Je côtoyais de vrais artistes et les instruments que nous produisions étaient de réelles oeuvres d’art.

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Alors vous comprendrez que j’étais en mesure d’apprécier le travail de ces cannes en bambou que je découvrais au Coin du moucheur. Richard Rioux m’explique alors de quoi il en retourne et me brosse un portrait sommaire du monde de la canne à moucher en bambou. Il me souligne que les artisans qui fabriquent des cannes en bambou sont très rares, qu’on les retrouve surtout aux États-Unis et en Europe et qu’à sa connaissance il y aurait très peu d’artisans qui en fabriquent au Québec. Ou du moins s’il y en a, ils ne sont pas nombreux. Il y a bien cependant des monteurs de cannes comme on les appelle mais des artisans qui fabriquent des cannes à moucher en bambou refendu au Québec sont plutôt rares. Je me dis que c’est quand même absurde. Vivre dans le pays des lacs et des rivières avec une tradition bien réelle de pêcheurs à la mouche depuis les débuts du 19e siècle. Il y a un vide à combler, y’a pas de doute. Évidemment, ça pique ma curiosité et je lance comme ça à Richard Rioux spontanément : « Comme ça y’a peu de fabricants de cannes à moucher en bambou au Québec ? Hé bien moi je pourrais en faire. » Pas besoin de vous dire que je remarque le rictus de Richard Rioux qui me répond aussitôt : « Ben tu serais un pionnier si tu réussis à en faire ne serait-ce qu’une seule canne ! » Sur ces bonnes paroles, je complète ma transaction et je pars avec mes nouveaux waders. Mais l’idée vient de germer et me trotte sérieusement dans la tête. Je sens comme un défi à relever et c’est vraiment le genre de challenge qui m’allume.

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Après ma première saison de pêche à la mouche, je commence mes recherches sur Internet à propos des cannes à moucher en bambou refendu. Je trouve une multitude de sites sur le sujet aux États-Unis et ailleurs en Europe mais rien au Québec et très peu dans le reste du Canada. Finalement, je tombe sur le site du fabricant de cannes à moucher en bambou, Kelley Baker de Falmouth dans le Maine. Je communique avec lui et nous nous entendons pour une formation intensive en août 2015. Une expérience extraordinaire avec un homme ingénieux et créatif. Avec patience et rigueur il m’a montré toutes les étapes de fabrication selon la méthode Garrison, un fabricant américain réputé du début du 20e siècle. Mon expérience de luthier me fut fort utile et j’ai réussi assez bien, je dois dire à fabriquer ma première canne à moucher en bambou refendu, une 8 pieds en 2 sections avec soie #5. J’en suis très fier et j’ai bien l’intention de continuer à en fabriquer. D’ailleurs, je vous annonce que dès 2017, j’offrirai sur le marché des cannes en bambou refendu en commandes spéciales ou de ma sélection. De la canne de 6 pieds soie #3 à la canne de 9 pieds montée en soie #9, vous pourrez venir les essayer et faire votre choix. Il me fera plaisir de vous conseiller. D’ici là, je fabrique des prototypes que je veux mettre à l’essai dès cet été.

J’ai bien l’impression que ma canne en graphite Ste-Croix va se retrouver sur le banc plus souvent qu’autrement car mes prochaines parties de pêche se feront certainement avec le bambou. Et j’espère que j’aurai la chance bientôt de ferrer mon premier saumon ou ma première truite avec une canne en bambou Sylvestre. Ça va être tout un feeling !

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4 réflexions sur “Histoires de cannes en bambou

  1. Bonjour M. Sylvestre. Je suis un ami de Richard qui m’a raconté votre histoire et qui m’a montré votre récent dépliant sur les cannes à moucher en bambou Sylvestre, une marque qui fera date j’en suis sûr dans les annales québécoises de la pêche à la mouche. Je compte bien d’ailleurs essayé et certainement acheté une de vos Cannes quand elles seront en montre dans la boutique de Richard. Une petite précision, toutefois, sur les fabricants québécois de canne en bambou. Vous trouverez à Châteauguay un artisan digne de mention: M. Michel R. Lajoie, un adepte du bambou de qualité Tonkin. Voyez son site « le moucheux.ca ». J’ai déjà par le passé commander une canne à M. Lajoie pour l’offrir en cadeau à un ami. C’était du bel ouvrage. Bravo pour avoir réussi dans votre entreprise et soyez sûr que je continuerai à vous lire avec le plus vif intérêt.

    René Bouchard

    Aimé par 1 personne

    1. Oui effectivement, on m’a parlé de M. Lajoie lors du Salon de la pêche à la mouche de Trois-Rivières en novembre dernier. Je compte bien essayer d’entrer en contact avec lui d’ici l’été. Par ailleurs, je suis présentement en production de prototypes de cannes et je forme deux jeunes artisans car je compte bien assurer une relève et instaurer ce qui pourrait être un « foyer » d’artisans chevronnés dans la fabrication de cannes à moucher en bambou refendu. Je crois qu’il faut réimplanter cette tradition au Québec qui s’est un peu égaré. Car au cours de mes recherches, j’ai découvert qu’il y a eu déjà des artisans qui fabriquaient de très belles cannes en bambou semble-t-il, dont un certain M. Boivin au début des années 1900 à Québec. Et un autre, Andy Barr, qui fabriquait des cannes pentagonales en bambou dans les années ’60 en Montérégie et qui sont très recherchées aux États-Unis aujourd’hui. Plus je fouille sur le sujet et plus je découvre. C’est passionnant !

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  2. Bonjour Monsieur Sylvestre,

    J’ai eu la chance de visiter la maison Hardy, en Angleterre en 1992, alors que j’étais invité par cette dernière à un séjour d’une semaine, pour une visite complète de l’entreprise. Lors de ma visite, c’est la fabrication des cannes en Bambou qui m’a le plus impressionné. Je tiens à vous féliciter pour votre passion. La fabrication des cannes en Bambou est un art que seul les passionnés perfectionnistes peuvent accomplir. Je serai à l’affut pour découvrir votre collection et je suis convaincu que vos oeuvres d’arts fabriqués chez nous feront redécouvrir aux pêcheurs le plaisir de pêcher avec ces merveilleux bijoux du siècle dernier. La lenteur et la puissance des cannes en bambou faisant voyager une artificielle nous procure une sensation de délicatesse et de noblesse incomparable. Félicitation!

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